Abbé Bernard Crochet
 
Le 21 août 1971, Bernard Crochet ( Abbé à Saint Hilaire du Harcouët fin des années 50 début des années 60 et prêtre missionnaire au Brésil à l’époque des faits ci-dessous ) rendait visite à La Paz, Bolivie, à un de ses amis prêtre d'origine canadienne le Père Maurice Lefebvre. Ce jour-là, des militaires conservateurs de droite attaquent le palais présidentiel où siège le général Torres qui a été porté au pouvoir par le peuple.


Le texte qui va suivre est la déposition que Bernard a faite à la police bolivienne 2 jours après les événements.
( Je la traduis du texte espagnol )

«  Je, soussigné, Bernardo CROCHET, de nationalité française, prêtre catholique, résidant au Brésil, calle Espiritu Santo 963, Juiz de Fora, Gerais, de passage à La Paz comme touriste, déclare avoir été témoin oculaire des faits suivants :

Le samedi 21 août, vers 18 h j'étais en train de parler avec le Père Maurice Lefebvre, dans la maison des Pères Oblats, rue Constitucion 347, à l'angle de la rue Chacaltaya, quand celui-ci reçut un appel téléphonique lui demandant de bien vouloir sortir pour transporter des blessés avec sa camionnette. Je me proposai de l'accompagner.
Tout d'abord nous nous dirigeâmes vers l'avenue Camacho à l'Assistance publique où ils nous donnèrent un grand drapeau avec la croix rouge d'environ 1,50 m et l'adresse où se trouvait un blessé. Le Père Maurice mit cette adresse dans sa poche et il la ressortit juste avant d'arriver au lieu indiqué.

Nous avons descendu la rue, un jeune passager mettant en évidence le drapeau de la croix rouge par la portière. Dans la camionnette étaient aussi 2 infirmières et un médecin ( à ce qu'il semble ). Nous avons descendu l'avenue Arce jusqu'à l'angle de la rue Rosendo Gutierrez que nous avons suivie jusqu' au croisement avec la rue Capitan Ravelo.
C'est alors que les soldats qui défendaient le ministère de Gouvernement nous prévinrent que c'était dangereux à cause des tirs qui venaient de la colline en face. En arrivant au carrefour des rues Rosendo Gutiérrez et Capitan Ravelo, le Père Maurice reçut une balle en pleine poitrine provenant de la colline. Les occupants s'aplatirent dans la camionnette attendant quelques secondes de calme. Nous sommes tous sortis de la camionnette qui se trouvait alors en pleine rue Rosendo Gutiérrez. Le Père Maurice sortit par la portière gauche tombant au sol sur la partie gauche de la rue vers le carrefour avec la rue Capitan Ravelo. La camionnette continua son chemin vers le fond de la rue .

A notre arrivée, il y avait déjà une ambulance mais qui ne pouvait rien faire du fait des tirs incessants. Dans la rue Ravelo étaient postés des soldats du Ministère de gouvernement, abrités par des maisons des tirs de fusils et de mitrailleuses qui venaient de la colline Laikacota, colline qui était occupée à ce moment, semble-t-il, par le régiment Castrillo.
Au bout de la rue Gutiérrez une petite fille avait été blessée, fille d'un médecin ( ? ) qui, lui-même, dans ses tentatives pour lui porter secours, avait été blessé. La petite fille perdait son sang sans possibilité de lui porter secours.

Les occupants de la camionnette du Père Maurice essayèrent dans un premier temps de le retirer hors de portée des tirs. En vain ! Au début, Maurice remuait la tête. Ensuite, quand nous vîmes qu'il ne bougeait plus, j'entrai dans une maison pour téléphoner à la Maison des Pères Oblats pour demander de l'aide.

Les accompagnateurs du Père Maurice tentèrent, au début, de le soustraire aux tirs qui en ce moment étaient continuels sur la camionnette. Le docteur ( ou infirmier ) qui était venu avec nous montra un petit drapeau blanc avec une croix verte pour qu'on lui permette de retirer le corps, chose qui fut impossible à cause des tirs qui reprenaient chaque fois qu'il exhibait le drapeau.
Les soldats qui étaient avec nous tiraient, eux aussi sur la colline Laikacota, où étaient les putschistes.

L'heure à laquelle le Père Maurice fut touché, je crois que c'est entre 6h30 et 6h45. La blessure du Père Maurice fut provoquée par un tir venant d'en face, quand nous descendions la rue Gutiérrez et l'autre victime qui avait été blessée avant notre arrivée se trouvait dans la même rue mais à la hauteur du transformateur.

Comme la fusillade reprenait dès que quelqu'un se montrait dans la rue, nous dûmes attendre qu'il fasse nuit. Alors, les soldats qui étaient avec nous, firent feu sur les lampadaires publics pour profiter de l'obscurité. A ce moment arriva le Père Pedro avec sa voiture portant la croix rouge et, à la faveur de l'obscurité, un soldat, rampant sur le sol put s'approcher du cadavre de Maurice, lui passer une corde à un pied, ce qui lui permit de retirer le cadavre de la rue.

Le médecin qui nous accompagnait fut blessé lui aussi légèrement. Mais il semble que ce fut par les éclats de verre du pare-brise.

La Paz, le 23 août 1971

Bernard Marcel Crochet


Note : Il y avait les soldats putschistes ( sur la colline ) et les soldats fidèles au gouvernement en place ( ceux qui étaient près de Bernard et qui ont aidé à retirer le corps du Père Maurice ).
 
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