Extrait du journal le GLANEUR du 18 novembre 1893

« La Compagnie du soleil »
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     Depuis cent ans et plus, il existe à Naples une population misérable, grouillante, en haillons, faisant élection de domicile sur les trottoirs, se chauffant au soleil, vivant on ne sait comment et ne travaillant jamais. Cette classe peu intéressante s’appelle les Lazzaroni.

     Saint-Hilaire, cette cité coquette et aimée, que nous rêvons sobre et heureuse, n’a pas échappé au fléau de la paresse et de l’ivrognerie. Elle aussi a ses Lazzaroni, connus sous le nom de la Compagnie du Soleil. Comme à Naples elle ne connaît que le trottoir, la paresse et la mendicité. Quant au travail, il n’en faut pas parler, du travail ! C’est bon pour les bourgeois, mais l’honnête ouverrier, allons donc ! !

     Certes, c’est l’âme attristée que nous parlons aussi d’une autre compagnie aussi peu intéressante mais trop nombreuse hélas ! J’ai nommé l’escadron volant des buveuses.

     Le café et l’eau-de-vie surtout, voilà leur goût, leur vie, l’objet de leurs insatiables désirs, de leurs féroces appétits.

     Dès l’aurore, elles se mettent en quête et leur première visite est pour le cabaret. Elles parcourent la ville, se lamentent, pleurent, racontent des histoires à fendre l’âme, sollicitent la pitié pour leurs enfants malades, leurs maris blessés ou sans travail et jouent leur rôle en comédiennes consommées. Le jour est proche où nous lèverons leur masque.

     Ajoutons qu’elles ne regagnent leur demeure que gorgées de café et d’eau-de-vie. Pas de cidre ! Boisson vulgaire et qui glace le cœur !

     Naïfs et bons Saint-Hilairiens, âmes sensibles et compatissantes, une bonne fois ouvrez donc les yeux, distinguez enfin les vrais pauvres, ceux-là timides, laborieux, digne du plus grand intérêt et repoussez ces loqueteuses, mère indignes, ces hypocrites qui exploitent à leur profit seul votre générosité et votre amour du bien.

     Mais revenons à la Compagnie du Soleil composée de jeunes fainéants et prête à plus d’une besogne. Quelques-uns étaient conscrits et déjà ont rejoint leurs régiments.

     Des hommes de cœur et charitables, ne rêvant que le bien-être et la moralité de la jeunesse, ont eu la généreuse pensée de les attirer à l’église, de prier pour eux et les ont comblés. Beaucoup d’entre eux, tous peut-être ont assisté à cette pieuse réunion et conserveront, je l’espère, un souvenir durable. Pardon, je me trompe et plus d’un membre de la Compagnie du Soleil, trois surtout ont scandalisé les habitants de la ville. L’un des deux plus ivre que les autres, s’est fait cueillir par les gendarmes et a cuvé son vin à la prison, joli début pour un soldat !

     Bonnes âmes charitables et pieuses, gens généreux, ouvrez donc votre porte-monnaie, venez en aide à la Compagnie ; vos aumônes seront, n’est-ce pas ? bien placées.

     A votre insu et avec les plus nobles intentions, à quoi servent vos dons ? À accroître le plus souvent le vice affreux de l’ivrognerie. Ce n’est pas du pain que cherchent les femmes surtout, mais de l’argent toujours de l’argent pour satisfaire leurs détestables passions.

     Aimons les pauvres, mais les vrais seulement ; ouvrons nos âmes aux plus nobles aspirations et que la souffrance ne nous trouve jamais indifférents. Mais chassons sans pitié les hypocrites les mendiantes éhontées qui n’ont qu’un souci, boire, toujours boire et qui, mères dénaturées, laissent leurs enfants suer la misère et crier la faim.
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