Au coin du feu




     Avant que la fée électricité ne vienne s’installer dans nos maisons, les tâches quotidiennes, et la vie en général ne se déroulaient pas du tout comme aujourd’hui. Avant tout, et surtout en milieu rural, l’homme travaillait au rythme des saisons et la nature commandait. Bien souvent, il se levait avec le soleil et, rarement, travaillait aux champs quand celui-ci était couché.

     Les maisons, parfois très modestes en campagne, étaient toutes dotées d’une ou de plusieurs cheminées autour desquelles la vie s’organisait et c’était un confort suprême quand elles ne fumaient pas – Il arrivait en effet qu’on doive laisser la porte entr’ouverte sinon l’ambiance enfumée de la pièce devenait vite insupportable. Donc, la cheminée avait un rôle prépondérant tant pour la chaleur qu’elle dégageait l’hiver, que pour fournir, tout au long de l’année :
  • et l’eau chaude indispensable à la maisonnée (le chaudron demeurait suspendu à la crémaillère tout au long du jour)
  • et les braises nécessaires à la cuisson des aliments : que ce soit au gril, à la rôtissoire, à la broche, en mitonnée ou tout simplement sous la cendre pour les pommes de terre et les oignons.


     Mais la cheminée, c’était plus encore, bien plus encore. On s’y retrouvait à la nuit tombante après avoir mangé la soupe et chacun y trouvait une clarté suffisante pour effectuer quelques petits travaux :
  • tricoter des chaussettes , des pélerines ou des châles
  • filer au rouet
  • tresser l’osier ou la ronce pour faire des paniers
  • écosser des haricots secs
  • trier et dégermer les pommes de terre
  • éplucher oignons et échalotes
  • mais encore lire les nouvelles dans le journal hebdomadaire afin de se tenir au courant des événements.


     La cheminée, c’était enfin le lien, le maillon qui permettait de rassembler famille, amis, voisins pour des dégustations on ne peut plus conviviales telles que les harassées de châtaignes que l’on accompagnait d’une bolée de cidre. Le tout sur fond de chansonnettes et de petites histoires, sages ou coquines qui ravissaient tout le monde. Quelques unes nous ont été transmises par nos parents ou grands-parents car elles ont marqué leur jeunesse.

     C’est ainsi que chez nous, on se plaît à évoquer le bouc rouge qui faisait si peur dans le village. Grand-mère racontait qu’à la nuit tombée, il fallait être vigilant car une bête se jetait sur les carrioles. Certains disaient l’avoir vue et assuraient qu’il s’agissait d’un bouc en furie, un bouc rouge avide de sang . Mais c’était il y a longtemps ajoutait-elle et il ne faut plus en avoir peur. N’empêche que le bouc rouge, on en parle encore chez nous.

     Il y avait aussi les histoires de grand-père qui ravissaient petits et grands. Beaucoup d’entre elles commençaient par : ‘’ C’était du temps de jadis où les poules pissaient et les chats pondaient ‘’ – tout un programme ! inutile de dire qu’il s’agissait alors d’histoires à dormir debout, mais tout le monde en redemandait .

     C’était encore l’oncle Georges qui amusait la galerie en faisant son cirque – c’était en effet un grand amateur d’animaux de cirque. C’était à peu près ça : Mesdames et Messieurs, vous allez assister à une parade d’éléphants : c’est d’abord un éléphant gris d’Asie : il n’est pas méchant, mais quand on l’attaque, il se défend ! Il continuait : Oh là, attention, je vois quelque chose se préparer. Alors, vite que ceuzent qui ne savent pas nager montent sur un tabouret car l’éléphant va-t-uriner…. Et cela se terminait par : Maintenant, je vais vous présenter l’éléphant blanc d’Amérique. Vous savez, celui qui a la peau si tendue que lorsqu’il ouvre un œil il doit fermer le …. ( oui, ça, justement – vous avez deviné ! ) Inutile de dire que les rires fusaient dans la maison.

     Plus sérieusement, tante Victorine chantait seule, la petite Glaneuse puis en duo avec sa sœur, les deux vieilles.Ce n’était pas toujours dans le ton, mais qu’importe !

     Chaque maisonnée avait donc son répertoire, ses diseurs, ses conteurs, ses chanteurs et on ne s’en plaignait pas.

     Pendant que l’on devisait, les maîtres de maison veillaient à entretenir le feu. Chez certains, c’était un feu d’enfer - du gaspillage de bois disaient les rapiats qui, eux, ne faisaient dans la cheminée qu’un feu de ‘’ belle-mère’’ autrement dit un petit feu où l’on voyait trois petits bouts de bois se battre en duel !

     Comme on peut le voir, si la vie était rude, on savait prendre du bon temps sans aller bien loin, seulement près du ‘’ foyer ‘’…. Ce mot qui désignait la cheminée, mais aussi, par extension la demeure en général. On disait d’un village, par exemple, qu’il comptait cinq, six ou sept foyers ( ou feux ) selon qu’il y avait cinq, six ou sept logements habités. On parle encore aujourd’hui de créer un foyer quand on se marie – ou bien, quand un enfant arrive au monde ,il arrive qu’on annonce la naissance d’un petit Antoine ou Arthur, au foyer de Monsieur et Madame X.

     C’est dire la place que pouvait tenir dans la maison, cet endroit si confortable et si convivial que l’on appelait « le coin du feu «

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