Correspondance Datin

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     La suite, c’est encore un courrier du 16 août 1839 libellée comme suit :
     "Quatre mois passé se sont écoulés depuis que j'ai reçu de vos nouvelles et votre dernière lettre m'annonçait que vous, mon père, aviez un doigt atteint par un panaris qui vous faisait cruellement souffrir. Hélas, le mal se serait-il aggravé ? Ou vous serait-il arrivé quelque malheur assez grand pour vous empêcher de donner un instant à votre fils ? Votre silence m'alarme d'autant plus que je ne puis vous accuser d'indifférence à mon égard, je connais au contraire trop votre tendresse pour vos deux enfants, j'en ai ressenti plusieurs fois les effets pour m'en plaindre. Veuillez donc, je vous en conjure, me tirer de l'anxiété où votre silence m'a plongé."
     Je veux enfin en finir avec cette femme qui de plus en plus m'obsède, je sens que je ne l'aime pas assez pour unir ma destinée à la sienne. J'aurai dans la circonstance encore recours à vous ou plutôt à Monsieur notre Maire qui je suis persuadé ne me refusera pas ce nouveau service, lequel consiste à m'écrire une lettre dans le sens du modèle ci-après et à son appui, je remercierai, tout de bon, Mlle Flagelle. Vous pourrez insérer dans cette lettre une feuille volante sur laquelle vous écrirez ce que vous aurez à me dire. Bien entendu que l'adresse sera de l'écriture de Monsieur Jouenne. "


      "Mon Fils,
     Je n'ai pas été surpris lorsque j'ai appris que malgré la lettre que j'avais écrite le 2 avril dernier à Mr Flagelle tu continuais toujours à fréquenter sa Demoiselle. Par cette lettre, je lui faisais part de l'impossibilité dans laquelle je me trouvais de consentir à ton union avec elle parce que des raisons de famille en avaient décidé autrement. Par cette même lettre que sans doute il n'a pas reçue, je le priais de te remercier , attendu le projet de mariage que nous avons arrêté ici, ton oncle et moi ; Mais aujourd'hui les choses étant dans le même état, je t'avertis que si tu voulais toujours persister dans tes desseins, je me verrais forcé d'écrire à ton directeur pour t'éloigner de La Rochelle et de te refuser son assentiment. De cette manière tu vois , je ne suis point embarrassé pour trouver des moyens de m'opposer à ton mariage qui d'ailleurs, en se réalisant ici me procurera la joie de te voir réuni à la famille. Du reste, Mr et Mme Flagelle n'auraient pas dû te recevoir que quelques mois voyant que je ne leur avais pas écrit pour solliciter pour toi comme les bonnes convenances l'exigent, la main de leur demoiselle. Adieu, n'espère pas recevoir de nos nouvelles que lorsque nous apprendrons que tu te rends à nos désirs.
      Je t'embrasse.
      Ton père. "


      "Une lettre ainsi conçue déterminera la famille Flagelle à consentir , sans m'en vouloir, à notre séparation que je désire avec ardeur pour plusieurs raisons, entre autres, la perte presque certaine dit-on, d'une action de 26000 frs sur un navire qui s'est submergé il y a quelque temps , la jalousie de Mlle Flagelle et d'un autre côté, un parti plus avantageux qui se présente maintenant. Il y a longtemps il est vrai que j'avais fait tout ce qu'il avait dépendu de moi pour réussir, mais c'était en vain ; aujourd'hui on me donne bonne espérance, j'ai eu quelques entretiens avec la demoiselle ( du reste je la connais parfaitement depuis plus de 3 ans pour m'être trouvé en soirée avec elle presque toutes les semaines) qui m'a dit qu'elle ne se marierait que lorsque je le serai. Les parents ne rient pas toujours mais nous avons espoir de les apaiser. Dans ma prochaine, je vous donnerai sur son compte de plus longs détails.
     Mes compliments à toute la famille, sans oublier nos bons voisins, la famille Pasquier et assurez de mes respects notre maire et notre adjoint. "




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