... tous les bienfaits de la civilisation et possède tous les vices des peuplades sauvages, car la moitié- plus de la moitié même – vit en concubinage sans pour cela rougir de la dépravation de leurs moeurs. Les ¾ des enfants ici ne connaissent pas leur père . Les jeunes gens riches qui rencontrent une esclave jeune et jolie vont l'acheter pour en faire leur maîtresse et en échange de leur honneur, ces filles reçoivent leur liberté ! Aussi le nombre d'esclaves femmes est bien moindre que celui des hommes,car pour peu qu'une fille soit jolie, elle est presque sure d'être rachetée par son amant . Au reste , les esclaves n'ont pas le droit de se marier civilement, seulement ceux d'entre eux qui veulent s'unir font bénir leur union par un prêtre. Ces cas sont assez rares; les noirs tiennent peu aux usages de la société
     Le pain vaut 6 sous la livre, la viande 1.20fr, le poisson 1fr la livre, les oeufs 2 à 2f50 la douzaine, le vin 100fr la barrique.
     La principale nourriture ici est le riz qui ne coûte que 3 sous la livre. L'esclave en mange à peu près 10 livres par semaine sans autres aliments à moins que par son travail ou ses vols, car ils sont naturellement voleurs, il puisse acheter un peu de morue ou de viande salée.
     Ainsi que je vous l'ai dit, la chaleur est continuelle à Bourbon où les arbres sont toujours en végétation. On ne voit ni grêle, ni neige, ni gelée. Le tonnerre se fait quelquefois entendre mais jamais avec autant de fracas qu'en France. Il part aujourd'hui un navire pour la France; je n'aurais pas laissé passer cette occasion sans vous écrire, car chaque fois qu'une circonstance se présente j'en profite pour vous donner de nos nouvelles. Vous qui ignorez les occasions écrivez moi plus souvent car je n'ai encore reçu qu'une lettre de vous . Parlez moi longuement du pays, de la famille, de mon oncle Gachetière qui ne m'a pas encore fait réponse, des connaissances et des amis..
     Comment nier, bons parents, vous désespérez de me revoir, nous sommes encore tous assez jeunes pour penser au contraire, que la providence nous accordera l'insigne faveur de nous réunir tous un jour à la même table. Quel plaisir j'aurais de vous voir avec ma soeur et sa famille manger la galette de la Gresmanière. Dieu me réservera, je l'espère cette heureuse rencontre, car après quelques années de courses lointaines, il me sera bien doux de me reposer sous le toit paternel et de vous présenter ma femme et mon enfant qui aura grandi pour ainsi dire sur une terre étrangère et qui aura déjà parcouru à l'âge où l'on sort de l'enfance une partie de l'univers. Ces longs voyages forment les hommes en leur faisant connaître leurs semblables, car c'est une bien belle chose que d'étudier sur les lieux mêmes, les caractères des peuples. Ma femme et moi nous nous portons assez bien et nous désirons vivement que vous et ma mère ainsi que ma soeur et sa jolie famille jouissent également d'une bonne santé. Victoire doit bientôt être bonne à marier, pensez-vous à l'établir? Est-elle toujours jolie? A-t- elle un bon caractère surtout? Et fait-elle un peu le délassement de vos travaux ? J'aime à croire qu'elle aura su répondre par sa tendresse aux soins que vous vous êtes donnés. Marie, je n'en doute pas est bien belle et bien charmante. Est-elle bien instruite ? Et Victor qu'en fait-on ? Est-il au collège ou chez Mr Lepeltier ? Etienne je n'en doute pas lui donnera de l'instruction, chose indispensable aujourd'hui. Sans doute mon beau frère n'a pas besoin de mes conseils à cet égard, néanmoins dites-lui bien de ma part qu'il vaut beaucoup mieux donner une éducation soignée à un jeune garçon. Qu'en fera-t-il s'il néglige de le faire instruire? Sans doute, il pourra vivre sur sa propriété et seconder son père au besoin ; mais cher père vous m'avez souvent dit qu'il fallait élever les enfants pour eux et non pour soi; c'était un des principaux devoirs paternels disiez-vous.
     Recevez, avec mes embrassements ,ceux de ma femme et de Jules, lequel à défaut de ne pouvoir mieux faire vous envoie un gros baiser. "