Correspondance Datin

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     Puis vient la suivante daté du 6 Aout 1848 à Saint-Denis et les suivantes ;
     " Dans quelle inquiétude vous nous laissez par votre long silence. Eh quoi la France à ce qu'on nous dit ici est dans une anarchie complète , vous nous laissez sans nouvelles, vous ne daignez seulement pas nous informer si le Gouvernement nouveau a la sympathie de nos contrées. Cependant je présume que les flots révolutionnaires n'auront guère envahis la Basse Normandie qui par conséquent aura profité d'un gouvernement populaire sans en avoir supporté les péripéties qu'occasionne toujours l'enfantement d'aussi graves événements. Ici on est dans une inquiétude difficile à décrire , le commerce est nul, l'argent est rare et le travail est anéanti. Comment en serait-il autrement, on ne peut guère compter sur la stabilité des choses humaines ; elles se succèdent avec la rapidité de la vapeur. Les fortunes les mieux assises s'écroulent, les trônes se brisent, et devant la volonté du peuple tout s'incline. Pour être forts, il ne s'agit que de s'entendre et de demeurer unis, alors des lois sages sorties d'un peuple généreux et grand régiront la masse de la société, et personne ne pourra dire à un autre : je suis plus fort que toi. L'intelligence que donne un travail assidu et des études laborieusement faites élèvera seule l'homme ; et tous les emplois pourront s'obtenir aussi bien par le pauvre que par le riche.
     Tous les journaux parlent de la protection qu'accorde le gouvernement aux ouvriers; mais il est une autre catégorie de travailleurs qui semble être restée dans l'oubli, je veux parler des agriculteurs et cultivateurs. Est-ce que le premier d'entre tous les travailleurs : le cultivateur serait resté sans appui ? Et la culture, mère de tous les autres états, serait-elle restée sans encouragement ?
     N'aurait-elle trouvé personne qui, au sein de l'Assemblée Nationale, eût pris sa défense. C'eût été pourtant une bien noble mission que celle d'encourager la culture des terres et de dire aux paysans : ensemencez, labourez, faites fructifier vos terres, élevez avec soin vos animaux, la république vous prend sous sa protection, et si, par suite de calamités -qu'on ne puisse prévoir – votre récolte est perdue vous serez dédommagé ; mais aussi vendez vos denrées à un prix convenable de manière que le pauvre des villes puisse les acheter pour se nourrir, se vêtir, lui et sa famille.
     Ainsi que je vous l'ai écrit, la colonie est en partie peuplée de noirs esclaves appartenant aux blancs qui en sont les propriétaires comme vous l'êtes de vos chevaux et qui les vendent comme bon leur semble ; mais cet usage barbare va bientôt cesser, la République va leur donner la liberté.
     Cette mesure fera un grand tort à Bourbon car elle mettra dans la gêne et la misère une partie des habitants qui n'ont, pour subsister que le produit du travail de leurs esclaves.
     Ici, vous aurez peine à le croire, on ne trouve pas de domestiques blancs et encore, si on veut être servi convenablement, il faut être possesseur de ses domestiques; sans cela ,il faudrait changer tous les mois de servantes – c'est ce qui nous avait engagé d'acheter une négresse à laquelle nous serons obligés de donner la liberté; par conséquent nos perdrons les 1000 francs qu'elle nous a coûté sans avoir retiré d'elle que quelques mois de son travail. Et quel travail, mon Dieu ; vous croirez peut-être que j'exagère, eh bien, elle a peine à nous entretenir de linge propre. Ainsi, si nos domestiques de France ne faisaient pas davantage, il vous en faudrait au moins une douzaine...




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