Correspondance Datin

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     " Depuis que je suis à Rochefort, il s’en est échappé beaucoup. Tous ont été repris. Le gouvernement accorde une récompense de 25frs s’il est repris dans le port, de 50 s’il est repris dans la ville et de 100 francs s’il est repris dans la campagne. Ils sont tous habillés en rouge et sur leur vêtement, il est écrit Galère. "

     Les quelques lettres qui ont suivi ne nous apprennent rien de plus, sinon que Julien a satisfait au conseil de revision et a été réformé et qu’il lui en a coûté 350frs pour ce faire !
     Par contre, dans un courrier du 31 mars 1837, il indique à ses parents :

     " Le 27 de décembre, je fus voir fusiller un homme. Hélas, comment vous dépeindre cet affreux spectacle : à midi, on me dit que cette scène aurait lieu à 1 heure sur une place près du Quartier ; je m’y rendis aussitôt pour prendre ma place,la terre était couverte de neige,le froid était vif et le temps serein. Une foule de spectateurs était là, une garde importante maintenait le bon ordre et empêchait qu’on entrât dans l’intérieur du lieu où devait se passer cet affreux spectacle. Il y avait au moins une heure que j’attendais le patient lorsque je le vis arriver, escorté d’une compagnie de voltigeurs qu’accompagnait la musique du régiment : les tambours battaient la marche et les musiciens laissaient échapper de leurs instruments un son bruyant – ce n’était plus cette musique mélodieuse qui se fait entendre chaque jour avec une harmonie parfaite, c’était au contraire une musique qui avait je ne sais quoi de triste, de lugubre et de sévère ; enfin tout annonçait la consommation du jugement qui condamnait ce jeune soldat à être fusillé . Un vénérable prêtre était à sa droite qui lui donnait les dernières consolations de la religion. Arrivé au lieu désigné, il se mit à genoux avec lui, et semblait ne vouloir l’abandonner que lorsque tout aurait été consommé. Un capitaine de grenadiers lut le jugement et commanda au prêtre de se retirer, qui n’obéit que quelques instants après. Enfin, étant prêt de quitter sa chère brebis, il demanda qu’on le fusillât sans avoir les yeux bandés. Cette faveur fût refusée, alors ce respectable prêtre qui sous l’Empire avait reçu la décoration et le grade de capitaine de grenadiers, et qui depuis la Restauration a quitté l’art militaire pour embrasser le sacerdoce, les yeux baignés de pleurs embrassa plusieurs fois son pauvre pénitent qui lui dit d’un air vraiment contrit " adieu, nous nous reverrons dans l’autre monde " . Les yeux lui furent bandés et le signal de tirer fût donné : 6 balles l’atteignirent, il ne souffrit pas longtemps. "

     Vient le courrier du 17 mai 1838 où nous pouvons lire :

     " J’ai reçu mes chers et bons parents votre lettre du 21 février dernier à laquelle j’aurais dû répondre plus tôt, mais l’espoir de vous annoncer un avancement que j’attends vainement depuis longtemps m’a fait différer jusqu’à ce devoir ; car comme vous le pensez sans doute, si j’ai quelques consolations dans mon exil, ce sont vos aimables lettres qui me le procurent. Hélas ! combien de fois mes regards se sont-ils portés vers cette terre où j’ai reçu le jour pour y revoir par la pensée, les personnes qui eurent tant de soin de mon enfance et combien de fois je me suis dit : on aime tout bien davantage lorsque l’on peut dire c’est à moi. On aime bien mieux son village que la capitale d’un Roi.
     La St Philippe s’est passée ici assez tristement ; un modique feu de joie sans artifice sinon quelques fusées ont couronné la fête. Fête qui a mon arrivée était si somptueuse ! "




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