Correspondance Datin

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     Comme on le voit, tout se passe pour le mieux mais on sait à présent qu’avec Julien , il faut s’attendre à des surprises.
     Son courrier du 10 mars 1845 nous en donne la preuve :
     " Vous êtes sans doute inquiets de ne pas avoir reçu de nos nouvelles depuis bientôt 6 mois, mais ne m'en voulez pas ; j'ai été si malheureux durant ce temps que j'ai peine à comprendre comment j'ai pu résister à toutes les peines qu'on m’a fait éprouver.
     Ainsi que je vous l'ai annoncé, j'ai obtenu en octobre dernier un nouvel avancement sur place. Cette faveur a excité la jalousie de quelques employés qui prétendaient avoir plus de droits que moi à cette place, et ils ont écrit contre moi les choses les plus absurdes que la calomnie puisse inventer ; mon directeur n'ayant fait aucun cas des ces infamies, ils crurent qu'en les reproduisant à l'Administration, ils réussiraient mieux à me faire du mal. L'inspection des Finances fût chargée de la vérification des faits et son enquête aux yeux de mes ennemis ayant paru me déconsidérer, ils ont prétendu que je ne pouvais plus commander les hommes sous mes ordres. Enfin, fatigué de tant de tracasseries, je me suis vu forcé de demander mon éloignement de La Rochelle où j'avais coulé des jours si heureux pendant près de 10ans. Aujourd'hui, je suis tranquille aux Sables d'Olonne sous d'autres chefs dont je crois avoir l'estime. Ce pays n'est pas si beau que celui que j'ai abandonné mais il est sain et j'espère m' accoutumer passablement.
     Je ne puis me dissimuler que cette dénonciation m'ait fait beaucoup de mal, car outre qu'elle me prive des secours que je recevais de mon beau-père, elle m'a occasionné un déménagement de 30 lieues qui a entrainé beaucoup de frais ; j'aurais sans doute obtenu un nouvel avancement le mois dernier car j'avais été chaudement appuyé par le Directeur, mais un autre employé plus heureux que moi est venu de Saint-Malo. "
     La nouvelle résidence où je me trouve est au coeur de la Vendée. Les habitants ne vivent que du produit de leur pêche. La ville est un ramassis de maisons bâties sans ordre ni goût, et peuplée d'environ 5000 habitants. Mon petit garçon est toujours mignon ; il est pour son âge aussi avancé qu'on puisse le désirer, il parle comme s'il avait 4ans et compte déjà jusqu'à 10 sur ses petits doigts . Ma femme est assez bien portante, mais elle a éprouvé beaucoup de peine lorsqu'elle a été forcée d'abandonner sa famille et surtout son père qui nous a toujours comblé de bontés. Ma femme vous embrasse de tout son coeur ainsi que ma soeur et sa famille, et moi, mes bons parents, je vous prie de recevoir mes embrassades et de dire à ma bonne petite soeur que je l'aime toujours aussi bien, ainsi que son mari et leurs intéressants enfants.
     Votre tout dévoué fils.
     Voici mon adresse : brigadier des douanes aux Sables d'Olonne (Vendée) "


     Puis celui du 26 novembre 1845

     " Le gouvernement m'ayant fait proposer de passer aux Colonies aux appointements de 2400 j'ai accepté la proposition parce que pour toujours elle me mettra à l'abri du besoin, mais pour me rendre dans cet endroit qu'on nomme Cayenne et qui est éloigné de la France d'au moins 1500 lieues je serai obligé de dépenser beaucoup et malheureusement ce que nous possédons est engagé de manière à n'en pouvoir avoir que les intérêts. Dans cette circonstance difficile j'aurais bien recours à mon beau père mais il faudrait aussi que vous m'aidiez et ma femme à qui j'avais certifié que vous me feriez quelque chose après mon mariage me fait remarquer avec juste raison que vous ne m'avez encore rien envoyé, aussi je viens vous prier de me faire parvenir ce que vous pourrez le plus tôt possible avant que je parte pour ma destination. J'espère mon très cher père que vous penserez que sans cet éloignement, je ne vous aurais jamais rien demandé. J'aurais bien le désir de vous embrasser une dernière fois avant que d'abandonner la France mais les frais de voyage qui pourraient encore en résulter me forceront peut être de renoncer à mon projet. Dans tous les cas, comme mon départ ne sera sans doute que vers la fin de décembre je vous écrirai toujours en vous donnant mon adresse."



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